Ostéonécrose sous inhibiteurs de tyrosine kinase
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A propos d’un cas de pharmacovigilance
Un patient de 76 ans, est traité par GLIVEC® durant 7 ans et demi puis par SUTENT® dans le cadre d’une GIST jéjunale avec métastases synchrones hépatiques diagnostiquée en 2013. Il présente, à partir de mi-février 2022, soit 5 mois après le début de SUTENT®, une atteinte mal identifiée au niveau de l’oreille. En juin 2022, il présente une otite douloureuse, irradiant vers la mâchoire et la tempe. A l'examen, le conduit auditif est sténosé par l'inflammation, sans amélioration après deux semaines de traitement local, mise en place d'oto-drains et instillations de POLYDEXA® puis de CILOXADEX® pendant 10 jours. Ce traitement local a permis une aspiration de son conduit et la découverte de séquestres osseux au fond du conduit auditif. Une surdité mixte droite est objectivée. Le scanner retrouve à droite « une ostéolyse de la paroi postérieure et profonde du conduit auditif externe et des cellules mastoïdiennes au contact ». Le traitement par sunitinib est arrêté début août 2022. En septembre 2022, le bilan étiologique étant négatif le diagnostic d’ostéonécrose de l’os tympanal en lien avec la prise d’inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) est alors posé.
Le patient présente comme principaux antécédents, une insuffisance rénale chronique, un diabète de type 2 insulinorequérant équilibré et une HTA. Il n’y a pas notion de prise de traitement par biphosphonates.
Données et analyse
L’ostéonécrose est une dégradation anormale et prématurée d’un tissu osseux due à un défaut de vascularisation dont les causes peuvent être variées (infections virales, mycotiques ou bactériennes, cocaïne, granulomatose de Wegener, lymphome N/K, cause iatrogène).
Certaines classes médicamenteuses agissant sur l’inhibition de la vascularisation de l’os peuvent engendrer des ostéonécroses aseptiques. C’est le cas des médicaments ayant une action sur l’angiogenèse et le remodelage osseux notamment (bevacizumab, sunitinib, dénosumab…). Le VEGF en tant que médiateur essentiel de l’angiogenèse joue un rôle important dans la différenciation ostéogénique et dans la formation de l’os. L’hypothèse que les inhibiteurs du VEGF puissent altérer l’intégrité vasculaire de la mâchoire et avoir des répercussions sur l’os empêchant la réparation d’un éventuel microtraumatisme de la cavité orale1 a été avancée (cf. Figure 1).
Figure 1 : Mécanisme d’action des inhibiteurs de tyrosine kinase.
D’après Paragliola et al., Bone Metabolism Effects of Medical Therapy in Advanced Renal Cell Carcinoma.
Cancers 2023, 15, 529.
https://doi.org/10.3390/cancers15020529
L'ostéonécrose en lien avec l’utilisation des inhibiteurs de tyrosine kinase est une complication rare mais potentiellement grave associée à la prise de certains inhibiteurs de tyrosine kinase, tels que l’imatinib et le sunitinib.
La nécrose de l’os tympanal est une ostéonécrose de localisation inattendue pouvant survenir au cours d’un traitement par sunitinib. Cette nécrose tympanale est très rarement rapportée dans la littérature, contrairement à l’ostéonécrose de la mâchoire qui, quant à elle, est mentionnée dans le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP). Concernant l’imatinib, l’ostéonécrose sans précision de la localisation est également mentionnée dans son RCP et plusieurs publications la décrivent.
La majorité des cas d’ostéonécrose de la mâchoire sous sunitinib a été rapportée chez des patients ayant reçu antérieurement ou de façon concomitante un traitement par des biphosphonates par voie intraveineuse, traitements connus comme pouvant entraîner une ostéonécrose de la mâchoire. Par ailleurs, indépendamment de toute prise de biphosphonates1,2, l’ostéonécrose est favorisée par de nombreux facteurs, comme par exemple, les interventions dentaires invasives.
Le sunitinib est un inhibiteur multikinase ciblant VEGFR1 et VEGFR2, PDGFRα et PDGFRβ, FLT3 et c-KIT. On peut donc supposer qu’il puisse entraîner une ischémie osseuse dans des localisations autres que la mâchoire, à l’instar de molécules ayant une activité anti-VEGF (imatinib, sorafénib…) 4,5.
A ce jour, un seul cas en lien avec le sunitinib a été rapporté dans la littérature et concernait un patient qui avait été traité quelques années préalablement par des biphosphonates6.
Une otalgie persistante et/ou ne répondant pas aux traitements classiques, chez un patient traité par un médicament agissant sur l’angiogenèse doit amener le professionnel de santé à évoquer une cause iatrogène.
Références :
- Antonuzzo L, Lunghi A, Petreni P, Brugia M, Laffi A, Giommoni E, Mela MM, Mazzoni F, Balestri V, Costanzo FD. Osteonecrosis of the Jaw and Angiogenesis inhibitors: A Revival of a Rare but Serous Side Effect. Curr Med Chem. 2017;24(28): 3068-3076. doi: 10.2174/0929867324666170511113811. PMID: 28494743.
- Fleissig Y, Regev E, Lehman H. Sunitinib related osteonecrosis of jaw: a case report. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol. 2012 Mar;113(3): e1-3. doi: 10.1016/j.tripleo.2011.06.023. Epub 2012 Jan 2. PMID: 22676833.
- Koch FP, Walter C, Hansen T, Jäger E, Wagner W. Osteonecrosis of the jaw related to sunitinib. Oral Maxillofac Surg. 2011 Mar;15(1): 63-6. doi: 10.1007/s10006-010-0224-y. PMID: 20401503.
- Yeh CN, Fu CJ, Yen TC, Chiang KC, Jan YY, Chen MF. Osteonecrosis of the tibia associated with imatinib in metastatic GI stromal tumor. J Clin Oncol. 2013 Jun 1;31(16): e248-50. doi: 10.1200/JCO.2012.45.1294. Epub 2013 Apr 8. PMID: 23569321
- Canzano F, Di Lella F, Manuguerra R, Vincenti V. Osteonecrosis of the External Auditory Canal Associated With Oral Sorafenib Therapy: Sorafenib and Temporal Bone Osteonecrosis. Otol Neurotol. 2019 Sep;40(8): e812-e815. doi: 10.1097/MAO.0000000000002344. PMID: 31356482.
- Eguia A, Jonasch E, Gidley P. Sunitinib-Related Osteonecrosis of the External Auditory Canal: Case Report. Otolaryngol Head Neck Surg. 2022 Sep;167(3): 607-608. doi: 10.1177/01945998211071022. Epub 2022 Jan 4. PMID: 34982592.