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Thrombopénie immunologique à l’héparine : diagnostic et conduite à tenir

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La thrombopénie immunologique induite par l’héparine (TIH de type II) est un effet indésirable médicamenteux immuno-médié par des IgG et survenant chez 0,2 à 5 % des patients traités par héparine, notamment l’héparine non fractionnée et en milieu chirurgical. Il s’agit d’un syndrome clinico-biologique associant une chute brutale de la numération plaquettaire après 5 à 21 jours de traitement par héparine (en l’absence d’un traitement par une héparine au cours des trois derniers mois) et paradoxalement des thromboses veineuses ou artérielles, voire une nécrose cutanée. Le diagnostic biologique repose sur la mise en évidence des anticorps IgG dirigés contre le complexe PF4-héparine et de leur caractère pathogène. Ces anticorps sont responsables d’une activation plaquettaire en présence d’héparine, mais aussi des monocytes, des polynucléaires neutrophiles et de l’endothélium vasculaire, avec production de thrombine à l’origine d’un état prothrombotique. A noter que si la thrombopénie se corrige en 4 à 5 jours après l’arrêt de l’héparine, cet état prothrombotique persiste plusieurs jours à quelques semaines.

Devant une suspicion de TIH de type II et après contrôle de la numération plaquettaire, un examen approfondi du dossier médical est indispensable pour établir la probabilité clinico-biologique de TIH à partir du score des 4T. Ce score pré-test immunologique prend en compte l’intensité de la chute de la numération plaquettaire, le délai de survenue, l’existence ou non de complications thrombotiques ou de nécrose cutanée, et d’autres causes éventuelles de thrombopénie. Si la probabilité est faible, la recherche des anticorps anti-PF4-héparine n’est pas pertinente et le traitement par héparine peut être poursuivi, si nécessaire, sous surveillance de la numération plaquettaire. Si la probabilité est intermédiaire ou forte, la recherche des anticorps anti-PF4-héparine doit être réalisée. Si plus de 3 heures sont nécessaires pour obtenir le résultat et/ou en cas de forte probabilité, l’héparine doit être immédiatement remplacée par un anticoagulant non héparinique à dose curative.

En France, deux anticoagulants administrés par voie parentérale disposent d’une autorisation de mise sur le marché dans la TIH : le danaparoïde, caractérisé par une élimination rénale et une demi-vie longue, et l’argatroban, dont l’élimination est hépatique et la demi-vie courte. Ces traitements doivent être encadrés par un suivi biologique de leur activité anticoagulante, de la numération plaquettaire et de la fonction rénale ou hépatique. Chez des patients stables, sans insuffisance rénale ou hépatique, et dont le risque hémorragique est géré, l’utilisation du fondaparinux ou des anticoagulants oraux directs (apixaban ou rivaroxaban) est possible selon les recommandations françaises et américaines. A noter que l’utilisation des antivitamines K est proscrite à la phase aiguë d’une TIH.

En cas de résultats positifs de la recherche des anticorps anti-PF4-héparine et/ou en cas de probabilité élevée, un test fonctionnel doit être réalisé afin de confirmer la pathogénicité des anticorps anti-PF4-héparine en présence d’héparine et donc le diagnostic de TIH. Deux principaux tests sont disponibles : le test de libération de sérotonine marquée 14C considéré comme le gold standard et le test d’agrégation plaquettaire HIPA.

A partir de l’ensemble de ces éléments, il est indispensable de conclure clairement sur le diagnostic et d’en assurer une traçabilité, en raison de ses conséquences sur l’anticoagulation future du patient. Le patient et ses médecins référents doivent être informés du diagnostic. Cet effet indésirable doit être déclaré au centre régional de pharmacovigilance, qui est parfois interrogé sur un antécédent de TIH chez un patient.

Au total, la TIH reste un effet indésirable rare mais potentiellement grave, en raison des complications thrombotiques, qui nécessite une collaboration étroite avec les cliniciens, les biologistes, les pharmacologues et les pharmaciens, pour le diagnostic, la prise en charge thérapeutique immédiate et l’impact sur l’anticoagulation ultérieure du patient.

Sur l’Ile-de-France, le centre régional de pharmacovigilance de l’HEGP a mis en place depuis 2020 une réunion multidisciplinaire afin de statuer sur les suspicions de TIH de type II en concertation avec les hématologues et des cliniciens spécialisés en réanimation chirurgicale, chirurgie cardiaque et médecine vasculaire.

 

Références :

Gruel Y, et al. Diagnosis and management of heparin-induced thrombocytopenia. Anaesth Crit Care Pain Med 2020.

Cuker A, et al. American Society of Hematology 2018 guidelines for management of venous thromboembolism: heparin-induced thrombocytopenia. Blood Adv. 2018.

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